Plage de petit-fort-Philippe 2020

Plage de petit-fort-Philippe 2020

Dune petit fort Philippe Octobre 2020

Dune petit fort Philippe Octobre 2020

Bungalow 91 Théo&Adèle Malo-les-Bains septembre 2020

Bungalow 91 Théo&Adèle Malo-les-Bains septembre 2020

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 Lundi 7 septembre 2020

Gravelines plage du Petit fort. 

Aujourd'hui, je retourne dans les dunes vers la centrale nucléaire. Petit chemin après la route sinueuse et voici, dressé, le bac à marée qui surplombe le creux du sentier. Le temps est à « nuage soleil », un classique pour la photographie. Mon regard est attiré par une valise rouge. Vidée, renversée, elle est couchée sur le sable. Cela n'est pas courant sur une plage! Dans le creux de la dune, face à la mer, un sentier protégé des rafales de vent accueille des habits et le legging blanc d'une petite fille. Tout ceci repose sur le sable. Abandonné, perdu, sans vie, un justaucorps n'est plus qu'un simple habit hors du temps. Mais où est donc l'enfant sans âge ? Plus loin, des couvertures de survie jaune et argent flamboient au soleil et s'envolent. J'aperçois, béante sur le sol, une boîte de « vache qui rit » ouverte, presque pleine.

Que reste-t-il d'autre ? Bonnet jaune, jouet d'enfant abandonné, sacs plastiques, petit tutu rose et plus rien que le vide d'un départ inéluctable pour tout recommencer ailleurs. Dans les dunes, les Panicauts grillés par un soleil trop chaud n’offrent plus au regard leurs belles fleurs bleues épanouies, les feuilles en sont calcinées. Des rosacées jaunes éparpillées balisent un désertique oubli du temps. Ici des bonnets d'hiver cohabitent avec les argousiers orange en fruits.

Un homme équipé d’une pince télescopique et d'un grand sac plastique ramasse ces objets laissés dans la précipitation du départ. Au creux des dunes, toutes ces personnes ont dû partir au lever du soleil et à marée haute quand le passage est plus étroit. Chaque affaire saisie est déposée ensuite dans la hotte verte de la ville au nom de Gravelines. 

 La mer au loin rompt par son silence le geste répétitif de prendre et déposer chaque vêtement dans l’antre du sac plastique. La vie continue, et la nature, seul témoin accompagne et prête sa voix par l'entremise du vent iodé. Maintenant, il ne reste plus rien que le vide, la centrale sur son promontoire domine, les feuilles s'agitent doucement, un pneumatique est parti ce matin. Une île proche « le royaume » les accueillera probablement. Est-ce l'espérance de la délivrance ?

Le soleil revenu réchauffe le dos, craquement de silice sous les pieds , l'eau salée s'est retirée. 

En contre bas, l’homme aux cheveux blancs n’a pas remarqué que sur une légère avancée de la plage, vers le camping, gît les dernières affaires du départ programmé. Il reste 3 sacs de couchage, un vert, un orange et un bleu. Il y a aussi huit portions de la vache qui rit, un fond d'eau dans une bouteille cristalline  et trois morceaux de pain au lait dans un sac plastique. Cela me fait penser à  Prévert : qu'il est dur le bruit de l'œuf sur le comptoir...  Cette scène face à la mer paraît bucolique surtout en cette fin d'été; Puis, la bise chaude siffle dans les oreilles. Les feuillages des jeunes argousiers en fruit forment une cuvette, une anse pour retenir le dernier sommeil de quelques personnes avant le départ. 

La vache qui rit et les pains au lait deviennent des reliques de notre époque contemporaine, je n'ose pas les toucher, elles seront saisies avec la pince télescopique puis déposées dans le sac approprié. Par peur du contact, je prends des distances et n’ose plus partager un élan décisif fondé sur l’altérité.

Les puces de sable sautillent, un cordeau d'oyat court à fleur de falaise, une plume allongée rêve de voler, un jogger s'arrête la tête inclinée vers l'horizon. 

Avec constance le cœur de chair bat dans ma poitrine, comme en chaque être, seul l’instant en faisant varier la fréquence. Devant moi pointe un décalage, une cécité, une incompréhension. Il y a un déséquilibre dans ce paysage devenu passage. Dans les dunes règne un vide, celui du choc du départ, une rupture géographique sans retour possible. Cet arrachement tel l’enfant qui sort du ventre de sa maman. C’est un sentiment étrange d’abandon de marcher dans le sable et de découvrir des vêtements d’inconnus. Il y a une présence absente dont je n’arrive pas à sortir ; elle m’enveloppe et me fragmente en même temps. Comme la présence de la personne aimée qui n’est plus là. 

A côté des arbustes un ensemble d'habits dans de nombreux sacs jonchent le sol, petit bonnet d'enfant blanc, chaussettes roses parmi les rosa-canina. Deux chandails sommeillent, délaissés sur des oyats. Des tartines de pain éparpillées, recouvertes de sable, forment un damier sans pion. Bonnet jaune, rasoir Bic une lame, crème pour les mains, caleçons de toutes les couleurs, chaussettes, pantalon, jouets, serviette, couche d'enfant, pull-over, couverture puis un bonbon à l'orange... Inventaire unique de ce départ.

Les coquillages comme des corps endormis se reposent. Première et chaude lumière du matin. 

La liberté ! n'est pas si loin, ce sacrifice repose désormais dans la chambre de mes yeux intact sans fard. 

Point-de-vue vers Gravelines

Point-de-vue vers Gravelines

Vers oye plage

Vers oye plage

Jetée de Grand-Fort-Philippe

Jetée de Grand-Fort-Philippe

Jetée de Grand-Fort-Philippe

Jetée de Grand-Fort-Philippe

Inventaire dans les dunes

Inventaire dans les dunes

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Sacs de couchage

Sacs de couchage

Couverture de survie

Couverture de survie

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